Ce texte est un une idée originale de Michaël Jaeggin, Laurent Tacchini et David Martinet, d’une scène transcrite et corrigée par PM Epiney en juin 98, que j’ai trouvé sur le net, repris et adapté en 2023 pour la troupe.
La scène d’une dizaine de minutes est composée de 3 acteurs : Mme De la Dencreuse (victime un peu bébête qui ne comprend rien), Mme Molaire Deschaussée (accusée et sadique au possible) et le président du tribunal (imbu de sa personne).
Le texte fait la part belle à l’humour. Il n’est pas très équilibré entre les trois personnages mais lorsque deux acteurs jouent, le troisième peut réagir corporellement pour garder du dynamisme.
L’adaptation est probablement perfectible car je n’en suis pas tout à fait satisfait. Il est possible que je le reprenne prochainement. Cependant les acteurs se sont bien amusé à le jouer.
(Le président entre dans la salle et s’installe au pupitre)
Le président : Affaire suivante : Mme de la Dencreuse contre son médecin-dentiste Mme. Molaire Deschaussée. Qu’on fasse entrer l’accusé.
Molaire Deschaussée : Ave, votre honneur ! L’accusé vous salit. Euh, vous salue !
Le président : Prenez place. Qu’on fasse entrer la plaignante, Mme de la Dencreuse.
Mme de la Dencreuse : Jour’, m’sieur le président. Bien dormi, m’sieur le président ?
Le président : Un peu de respect madame ! Sachez qu’un président de tribunal ne dort jamais. Il lit et relit sans arrêt ses dossiers. Aucune pièce, aucun indice n’échappe à sa vigilance de sorte que le jour du jugement, justice soit rendue au nom de la justice, oui la justice avec un grand J. Mais, où en étais-je ?
Mme de la Dencreuse : Ben, au tribunal, bien sûr !
Le président : Ah oui bien sûr. Je siège au tribunal. Je suis le président du tribunal. On m’appelle « votre honneur » et cela flatte mon amour-propre. Mais passons. Mme de la Dencreuse, je vous invite à déposer à la barre.
Mme de la Dencreuse : C’est gentil à vous de m’inviter mais qu’est-ce que vous voulez que je dépose, votre horreur ? Si j’avais su, j’aurais bien pris un p’tit gâteau au yaourt, vous savez je sais très bien les faire mais là, c’est bête, j’ai rien à déposer.
Le président : Madame, c’est une expression judiciaire. Cela signifie que vous êtes invités à comparaître devant nous.
Mme de la Dencreuse : Comparaître ? vous m’insultez maintenant ?
Le président : non comparaître… Ah oui d’accord, pourquoi dire des choses simplement quand on peut les dire de manière compliquée. Oubliez ce que je viens de dire. Levez votre main droite, (Mme de la Dencreuse lève la gauche), mais non pas celle-là, celle qui se trouve à droite de votre main gauche.
Mme de la Dencreuse (regarde ses mains sans bouger) : A droite de la gauche ?
Le président : Mais voyons c’est pourtant facile, la main droite c’est celle qui a le pouce à gauche.
Mme de la Dencreuse : Ça vous dérange si je lève les deux mains ?
Le président : (soupir) Si ça vous fait plaisir. Reprenons, veuillez levez les deux mains et jurez de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité.
Mme de la Dencreuse : Aussi sûr que je m’appelle Mme de la Dencreuse, je jure de dire… quoi déjà ?
Le président : la vérité
Mme de la Dencreuse : la vérité
Le président : rien que la vérité
Mme de la Dencreuse : Rien que la vérité.
Le président : Toute la vérité
Mme de la Dencreuse : Toute la vérité.
Le président : Par la vertu que me confère le pouvoir judiciaire : je vous donne la parole et je veux des faits.
Mme de la Dencreuse : Par la vertu que me conifère…
Le président : Assez, ça ce n’est pas à répéter !
Mme de la Dencreuse : C’est que c’est compliqué votre machin, vous ne m’avez pas dit d’arrêter.
Le président (s’agace) : Rah à la fin. Je vous demande des faits, expliquez-moi simplement : que s’est-il donc passé ce jour du 30 février 2022 ?
Mme de la Dencreuse :Ben voilà… (silence)
Le président : et c’est tout ?
Mme de la Dencreuse : Non, mais je sais plus quoi dire avec tous vos discours. J’ai la tête qui tourne avec tous vos mots compliqués là !
Le président : Mesurez vos paroles. Vous avez affaire à un magistrat assermenté par la justice et je n’aimerais pas vous inculper pour outrage à magistrat. Poursuivez.
Mme de la Dencreuse : Oui m’sieur le président. Eh bien, je poursuis cette dame. Figurez-vous que j’avais mal à ma dent creuse. Oui, un petit morceau de rôti était coincé dedans. Ma sœur avait bien essayé de l’enlever mais je la mordais chaque fois qu’elle essayait. C’est pas que voulais la mordre mais vous savez un morceau de viande dans la bouche, c’est plus fort que moi, il faut que je morde ! Alors, je m’suis dit : « descends au village et va au dentiste, elle a sûrement un machin pour sortir le truc coincé dans ma dent creuse. Et voilà !
Le président : Et voilà quoi ? Des faits, des faits. Donnez-moi des faits.
Mme de la Dencreuse : Non, j’avais pas du tout envie de faire la fête. Le reste de la fête, c’était le morceau de rôti qui était dans ma dent creuse. Alors, je suis arrivé à la dentiste et elle m’a dit : « asseyez-vous » et je me suis assisse. Après elle m’a dit « ouvrez la bouche » alors j’ai ouvert la bouche.
Le président : Allez, abrégez maintenant, venons-en aux faits.
Mme de la Dencreuse Elle a sorti alors une immense seringue. Elle riait comme une bossue, l’artiste. Elle disait : « Une petite piqûre, ça a jamais fait de mal à une mouche. » Je voulais m’échapper. Elle m’a dit : « mon petit lapin, tu es fait comme un rat ». Elle m’a pris le menton et m’a dit : « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette ». Elle a mis un cric dans ma bouche et…
Le président : Un cric ? heu non rien, poursuivez…
Mme de la Dencreuse : Elle a pris une immense tenaille comme celle pour réparer les tuyaux et elle m’a arraché la dent creuse.
Le président : Une tenaille ?
Mme de la Dencreuse : Oui. J’ai hurlé comme une possédée du diable. Elle m’a tellement fait mal que j’me suis débattue et j’ai réussi à foutre le camp.
Le président : Modérez votre langage. Ce lieu doit être respecté, il est le siège de la justice. Je vous remercie. Regagnez votre place. J’appelle l’accusé à la barre. Levez la main droite et jurez de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité.
Molaire Deschaussée : Je jure de dire ma vérité, toute ma vérité et seulement ma vérité ! Alea jacta est. Le sort en est jeté.
Le président : Trêve de discours et donnez votre version des faits.
Molaire Deschaussée : Eh bien, cette « chère » dame est venue chez moi. C’est elle qui avait l’envie de se faire arranger les dents, pas moi. Dans ma grande gentillesse, je lui ai dit : « Mais oui, mais oui. On peut faire quelque chose pour vous. » Alors, je l’ai ligotée sur le siège.
Le président : Ligoté, vous avez dit ligoté ?
Molaire Deschaussée : Moi ? J’ai dit ligoté ? (Confuse) Ah excusez-moi, je l’ai faite s’assoir. Ligoter c’est une autre façon de le dire pour nous les dentistes.
Le président : (surpris) Poursuivez.
Molaire Deschaussée : Madame est du genre douillette. Elle a surement été élevée dans du coton, lorsque je lui ai montré ma seringue, elle a pris peur.
Le président : Mais c’était une seringue d’une taille extraordinaire.
Molaire Deschaussée : Une seringue XXL. Que voulez-vous ? Aux grands malheurs, les grands remèdes. Et lorsque je suis arrivé avec mon instrument de torture.
Le président : De torture ? vous avez bien dit de torture ?
Molaire Deschaussée : J’ai dit de torture ? Non j’ai dit de travail, de travail, voyons. Torture c’est un mot technique de dentistes.
Le président : (circonspect) Cet instrument de « travail » comme vous dites, n’est-il pas aussi utilisé par l’installateur sanitaire ?
Molaire Deschaussée : Et moi j’ai envie de vous dire pourquoi pas ? Chacun est libre d’utiliser les outils du dentiste comme il lui plaît, non ? Et d’ailleurs, je n’ai pas de dent contre ces gens-là.
Le président : Prenez-vous du plaisir à faire ce que vous faites ?
Molaire Deschaussée : Oh oui bien sûr. J’adore faire ce métier. Discuter avec une cliente qui a la bouche complètement endormie, c’est génial. On la tient à la pointe de sa fraise. (imite le bruit de la fraiseuse) On lui dit : « est-ce que ça vous fait TRES mal ? » et si elle répond non, alors on lui met une fraise encore plus grosse !
Le président : Mais c’est monstrueux. Vous êtes un monstre.
Molaire Deschaussée : Objection, votre honneur ! Le monstre, c’est la carie, pas moi. Vous savez, la carie cachée dans la dent du fond. Mais je vais vous le dire, le véritable monstre, votre honneur, c’est la cliente qui ne se lave pas les dents 3 fois par jour.
Le président : Halte là ! Vous déviez du sujet et j’en ai assez entendu, merci, regagnez votre place. Nous allons nous retirer pour délibérer.
Molaire Deschaussée : Vous retirez ? Mais m’sieur le président, vous êtes tout seul.
Le président : Et, ma conscience. Qu’en faites-vous de ma conscience ? C’est elle qui assied mon jugement.
Molaire Deschaussée : ah c’est pour que vous avez besoin de vous lever ?
(Le président fait tour sur lui-même)
Le président : Voici la lecture de l’acte d’accusation: « En notre âme et conscience, après avoir entendu l’exposé des faits de la plaignante Mme de la Dencreuse et de la présumée accusée Mme Molaire Deschaussée, considérant la taille des instruments utilisés par la dentiste et l’attitude sadique qu’elle affiche dans la pratique de son métier, au vu des articles 756Q et chemise du code pénal, nous déclarons Mme Molaire Déchaussée coupable d’acte de barbarie et écope d’une peine de 2 ans de prison.
Molaire Deschaussée : 2 ans de prison ? (jubile) J’adore la prison. J’aime les gardiens de prison. Ils ont tous les dents déchaussées. Et les prisonniers avec leurs chicos en moins, je vais me régaler ! (Sort en sautillant)
Le président : Une fois de plus, la justice juste a été rendue ! Je déclare l’audience terminée et je clos le dossier.